L’ensemble des systèmes d’acquisition de données positionné dans et autour des parcelles agricoles génère une quantité d’informations très importante sur le fonctionnement des systèmes de production. Néanmoins, cette donnée brute issue des capteurs n’a, à elle seule, que peu d’intérêt. Cette donnée doit être replacée dans un contexte de production particulier et traitée avec des algorithmes sur mesure afin d’être transformée en couche d’informations et de décisions qui vont pouvoir être utilisées par l’utilisateur final (agriculteur, conseiller…). C’est avec ce contexte en tête qu’une équipe de scientifiques d’unités mixtes de recherche (INRA, IRSTEA, Montpellier SupAgro) a développé l’outil GeoFIS. Cette plateforme open-source (téléchargeable ici : https://www.geofis.org/fr/) a pour objectif de mettre à disposition un ensemble d’algorithmes issus des derniers développement de la recherche pour traiter ses données en Agriculture de Précision, et tout particulièrement des données spatialisées.
Un des gros avantages de GeoFIS est également de permettre d’intégrer de l’expertise, en laissant la main à l’utilisateur, dans le traitement de la donnée. Bien que l’utilisation de GeoFIS ne nécessite pas de compétences particulières en programmation et que les interfaces soient assez intuitives, GeoFIS reste principalement dédié aux chercheurs et aux étudiants désireux de traiter leurs données, mais aussi, dans une moindre mesure, aux agronomes et conseillers ayant une formation suffisante dans le domaine de l’analyse spatiale. L’objectif de ce post est de présenter de manière assez rapide et visuelle les possibilités offertes par cette plateforme open-source. Si vous voulez en savoir plus, une documentation plus technique est disponible en ligne (https://www.geofis.org/fr/fonctionnalites/) et un article scientifique a été publié Leroux et al. (2018) 1
Visualiser ses données
Explorer et comprendre ses données est primordial avant de se lancer dans des étapes plus avancées de traitement. Un des gros intérêts des données spatialisées est qu’on peut les afficher sur une carte ! Et c’est plutôt agréable ! GeoFIS propose une interface simple pour afficher des données spatiales dans différents formats d’entrée (vecteur, raster..), de choisir le système de projection associé à ses données, et coloriser ces dernières à partir de palettes de couleurs. Les outils de visualisation permettent de naviguer (se déplacer / zoomer) dans ces données pour y regarder un peu plus dans le détail. L’interface de visualisation est sans surprise bien moins poussée que celle d’autres outils géographiques (comme QGIS) mais elle a l’intérêt d’être très simple à prendre en moins. A noter qu’il n’est pas possible d’exporter la fenêtre de visualisation pour en faire une figure (à moins d’en faire une impression d’écran bien évidemment…). Un petit passage par QGIS est plus opportun si l’objectif est plutôt de générer un rendu propre pour une figure.
Nettoyer / Filtrer ses données
GeoFIS propose une interface assez ergonomique pour filtrer de manière “experte” ses données. Le filtrage disponible ne propose pour l’instant que de supprimer les données aberrantes globales, c’est à dire celles qui dévient le plus largement de la distribution globale du jeu de données. Aucun filtre local, par rapport à un voisinage autour de chaque observation, n’a pour l’instant été implémenté (ça ne saurait tarder !).
Interpoler ses données
Les méthodes d’interpolation spatiale sont nécessaires lorsque l’on cherche à produire une carte d’une propriété agronomique d’intérêt sur l’ensemble du domaine d’étude (ex: une parcelle). Un post spécifique a déjà été dédié à la description des principales méthodes d’interpolation spatiale utilisées en Agriculture de précision ! GeoFIS propose aux utilisateurs d’interpoler leurs données avec une méthode géostatistique, le krigeage ! Cette approche vise à interpoler les données à partir d’un modèle spatial (le variogramme) ajusté aux données. Pour réaliser son propre krigeage, GeoFIS propose une interface intuitive pour visualiser le variogramme expérimental créé à partir des données disponibles, et ajuster un variogramme théorique (le modèle) à ces données.
Parmi l’ensemble des paramétrages disponibles, il est possible de choisir l’étendue et la granularité du variogramme expérimental, le type de modèle de variogramme théorique, ainsi que les paramètres classiques définissant le variogramme. Il est possible de juger de la qualité de son ajustement avec l’erreur quadratique moyenne (RMSE) de manière à faire évoluer le variogramme théorique au mieux. Notez qu’un ajustement automatique est proposé par défaut ! Une fois le modèle sélectionné et enregistré, il n’y a plus qu’à lancer le krigeage.
Créer des zones de modulation
La délimitation de zones de modulation est maintenant une démarche largement pratiquée dans les services de modulation pour simplifier la lecture et la représentation des données spatialisées, ainsi que pour appuyer les machines agricoles dans la réalisation d’applications et traitements modulés. GeoFIS propose dans ses interfaces une méthode dite de “segmentation” pour générer ces zones de modulation à partir de données spatialisées. L’approche disponible (présentée dans cet article Pedroso et al. (2010) 2), construit une tesselation de Voronoi à partir de l’ensemble des observations disponibles [chaque observation devient alors une micro zone], puis fusionne ces unités de Voronoi deux à deux en fonction des écarts attributaires observés entre deux unités voisines. Les zones grossissent donc au fur et à mesure des itérations puisqu’elles fusionnent. A noter que plusieurs métriques d’écart existent : par exemple, deux zones peuvent être fusionnées si le plus petit ou le plus grand écart entre deux observations de deux zones voisines est minimal. L’algorithme s’arrête lorsque le nombre de zones demandé par l’utilisateur a été atteint.
Opportunité technique de modulation
Délimiter des zones de modulation n’a du sens que si l’amplitude de variation des données est forte, c’est à dire qu’il y a des variations substantielles et importantes à prendre en compte ET que cette variation peut être prise en compte de manière opérationnelle par les utilisateurs et/ou machines agricoles qui vont réaliser la modulation (on cherche à regarder si la variabilité est structurée dans l’espace). La caractérisation de la structure spatiale opérationnelle des machines qui vont réaliser la modulation données a été une préoccupation d’intérêt pour la communauté scientifique qui en est venue à proposer des indices d’opportunité techniques de modulation, notamment le TOI [Technical opportunity index, Tisseyre and McBratney (2008)3], implémenté dans GeoFIS. Pour des caractéristiques machines renseignées par l’utilisateur (notamment largeur et vitesse machine), l’algorithme implémenté sur GeoFIS, construit la carte d’application binarisée (seule une découpe en deux traitements est possible) qui maximise l’opportunité technique de modulation (c’est à dire la capacité de la machine à bien réaliser le traitement A sur les zones de classe A; à bien réaliser le traitement B sur les zones de classe B; et à minimiser les erreurs d’application, c’est à dire appliquer le traitement A sur les zones de classes B et inversement). Une fois l’algorithme terminé, une carte de modulation et un indice d’opportunité technique de modulation sont disponibles. A noter que ce processus est différent de la méthode de zonage proposée également dans les interfaces de GeoFIS !
Fusionner plusieurs couches d’information
Les décisions agronomiques opérationnelles sont, par nature, multivariées. Le choix d’une application donnée à partir d’une couche de décision (par exemple une carte de préconisation de fertilisation) est la résultante d’un ensemble de couches d’informations (rendement obtenu, fertilité du sol, historique de fertilisation….). Il faut donc que les outils d’aide à la décision proposés aux utilisateurs permettent de fusionner un ensemble de couches de différentes natures (points, polygones…) en une couche de décision finale qui permettra d’orienter la prise de décision de l’utilisateur.
GeoFIS propose un module de fusion ou d’aggrégation de couches en ce sens, basé sur la notion de risque. Dans l’exemple qui suit, l’objectif est de définir des zones dans une parcelle de vigne où il y a un risque que les pratiques agricoles soient non-optimales. C’est la couche de décision. Cette décision est basée sur un ensemble de trois couches d’information (la conductivité électrique du sol, l’altitude du terrain et le NDVI, un indicateur de végétation assez classiquement utilisé). Le module d’aggrégation de GeoFIS comprend deux étapes distinctes. Dans la première, chaque couche d’information initiale (conductivité, altitude, NDVI) est transformée en couche de satisfaction ou couche experte. Cette couche de satisfaction (entre 0 et 1) caractérise le risque que les pratiques agricoles soient non-optimales en fonction des valeurs de la couche d’information d’intérêt. Par exemple, sur la figure, si la conductivité électrique du sol est inférieure à 160 mS.m-1 (c’est une règle fixée ici de façon experte pour le cas d’étude considéré), le risque est maximal. Ce risque décroit ensuite pour des valeurs croissantes de conductivité électrique jusqu’à ce que ce risque soit nul. La deuxième étape du module est d’aggréger l’ensemble des couches de satisfaction créées. Plusieurs métriques, plus ou moins simples (pondération moyenne [WAM] ou pondération ordonnée [OWA]) sont disponibles pour fusionner les valeurs de ces couches de satisfaction.
Une fois les valeurs finales de risque obtenu, il est alors possible de soit présenter ces données sous forme brute en fonction du type de données des couches d’information (points, polygones…), soit de réaliser un zonage de ces données de risque pour en faciliter la lecture. Notez bien qu’un des gros intérêts de ce module d’aggrégation est de pouvoir considérer des relations non linéaires entre les couches d’informations renseignées.
Le petit mot de la fin
Comme vous l’avez vu, la plateforme open-source GeoFIS permet de faire pas mal de choses pour commencer à traiter ses données d’agriculture de précision. Tel qu’il est, c’est un outil vraiment pertinent pour faciliter l’enseignement de l’agriculture de précision. D’ailleurs, GeoFIS a déjà été utilisé dans de nombreux établissements d’enseignement supérieur en France pour enseigner aux chercheurs et aux professionnels comment traiter leurs données spatialisées. GeoFIS est un produit homologué mais il est important de préciser que tous les produits actuellement introduits et mis en œuvre dans GeoFIS font toujours l’objet d’études actives de la part de la communauté scientifique. GeoFIS sera mis à jour lorsque et si des méthodologies améliorées deviennent disponibles. L’une des forces de la plateforme GeoFIS est qu’elle est capable d’intégrer les derniers développements de la recherche pour s’assurer que les utilisateurs disposent des algorithmes les plus à jour, fiables et puissants. On espère également que des liens soient créés entre GeoFIS et les programmes SIG existants, comme QGIS par exemple, qui est déjà largement utilisé par de nombreuses communautés travaillant sur les données spatiales. Le gros avantage serait de pouvoir traiter ses données d’agriculture de précision en bénéficiant des algorithmes d’affichage et de traitement déjà implémentés dans QGIS.
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- Leroux, C., Jones, H., Pichon, L., Guillaume, S., Lamour, J., Taylor, J., Naud, O., Crestey, T., Lablée, J-L., & Tisseyre, B. (2018). GeoFIS: An Open Source, Decision-Support Tool for Precision Agriculture data. Agriculture, 8, 6
- Pedroso, M., Taylor, J., Tisseyre, B., Charnomordic, B., & Guillaume, S. “A segmentation algorithm for the delineation of management zones,” Computer and electronics in agriculture, vol. 70, iss. 1, pp. 199-208, 2010.
- Tisseyre, B.; McBratney, A. A technical opportunity index based on mathematical morphology for site-specific management: An application to viticulture. Precision Agriculture, 2008, 9, 101–113